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Tribalisme : comment l’Afrique ancienne avait réglé le problème


26 Mai 2018. Au cours d’une scène surréaliste, des chefs Douala détruisent en plein matin les travaux d’une stèle en hommage à Um Nyobe, père de l’indépendance du Cameroun, sous prétexte que ce dernier n’était pas originaire de Douala. Cet acte sonne comme un écho aux querelles qu’il y a au Congo Brazza, où on n’arrive pas à se mettre d’accord sur un héros national à honorer, chacun étant vu sous un angle tribal.

En Ethiopie, le peuple Oromo est en lutte frontale depuis des années avec le gouvernement, essentiellement Tigréen, tout comme il l’a été avant avec les régimes Amhara. Il se plaint de discriminations. Au Kenya tous les 5 ans ou presque, se déroule un semblant de guerre civile entre les Luo et les Kikuyu, les choix lors de l’élection présidentielle se faisant presqu’uniquement par rapport aux affinités tribales.

Des milliers de morts sont à dénombrer dans les affrontements entre Luo et Kikuyu.
Image de violences en 2017.

En Côte d’Ivoire, 25 années de crise politique ont durablement installé des tensions entre peuples du nord et peuples du sud. La Guinée Conakry vit quant à elle, de manière permanente, au bord de la guerre civile entre Peuls et Malinkés ; la moindre étincelle pouvant déclencher un carnage. Au Zimbabwe les Ndébélés se disent opprimés par la majorité Shona, confrontation qui a fait 20 000 morts parmi eux dans les années 80.

Mais le cas le plus préoccupant de tous est le Nigéria ; pays qui n’assume toujours pas son rôle naturel de leader de l’Afrique et du monde noir, géant bancal, structurellement affaibli et lacéré par de véritables haines tribales. 2 millions d’Ibgo sont ainsi morts lors de la guerre de sécession du Biafra à la fin des années 60.

Si dans plusieurs pays il n’existe pas de démonstrations de haine, trop peu souvent vivent les ethnies dans l’entente et la fraternité sincères. On s’observe du coin de l’œil, parfois avec une méfiance cordiale. 

Comment en est-on arrivé à avoir le problème majeur du tribalisme en Afrique? Problème qui met en péril notre avenir, querelles qui ne respectent même plus des gens qui sont morts pour la cause commune. Vous allez le voir, l’Afrique ancienne avait réglé le problème, qui n’en était même pas un en réalité. L’étude de ce passé nous donne des instructions claires pour rétablir la paix, l’harmonie et l’entente entre les peuples africains.

Pour comprendre entièrement cet article, le lecteur pourra se documenter sur la Religion Africaine, sur le rôle du roi dans la pensée africaine, et sur Maât, la philosophie africaine.  

Aux origines des tribus en Afrique

De tous les travaux de Cheikh Anta Diop, un des plus importants est d’avoir démontré que les Noirs d’Afrique sont un même peuple, avec les mêmes fondements religieux, les mêmes normes culturelles, la même philosophie, le même groupe de langues, souvent les mêmes noms. Beaucoup de savants à sa suite comme Théophile Obenga, Nkoth Bisseck ou Mbog Bassong ont renforcé cette notion à travers leurs recherches.

Cheikh Anta Diop a inauguré une approche uniciste de l’Afrique, que les recherches ne cessent de confirmer. Le camerounais Nkoth Bisseck disait ainsi « Les Africains partagent fondamentalement la même représentation du monde, la même culture, le même système de valeurs, les mêmes normes de comportement. Les différences entre leurs institutions culturelles, techniques, politiques et religieuses ne constituent que les modalités d’une même réalité ».

Si nous partageons tous la même identité fondamentale, c’est parce que nous descendons tous des peuples des Grands Lacs et de la Vallée du Nil. Et c’est de l’Afrique de l’Est que nos ancêtres ont migré vers le reste du continent, par plusieurs vagues. Les différences aujourd’hui entre Africains sont réelles certes, mais clairement périphériques. Il s’agit de variantes d’une même identité.

Les tribus qui existent aujourd’hui en Afrique sont formées depuis des siècles, près de 1000 ans de manière générale. Beaucoup ont coexisté au sein de royaumes et d’empires. Comment avons-nous donc vécu depuis 1000 ans? Les relations étaient-elles conflictuelles comme aujourd’hui?

Ekolo, les fondements de l’Etat africain

La pensée ancestrale postule qu’au commencement existait le Noun, eau primordiale pleine de différentes particules en désordre. Une de ces particules prit conscience d’elle-même, c’est Imana (Dieu). Imana extrait de lui-elle Râ, c’est-à-dire une Energie bruyante qui tourna dans le Noun dans un mouvement en spirale. C’est cette spirale qui allait assembler les particules, pour former tous les éléments de la Création harmonieuse et ordonnée. Imana-Râ fait constamment évoluer les Êtres créés par un principe appelé Kheper.    

Suivant la philosophie africaine (Maât), c’est par rapport aux lois de la création de l’univers, que les sociétés humaines ont été bâties. Dans l’Afrique ancienne, le clergé des prêtres vitalistes (animistes) s’assure que la Maât est appliquée dans tout le pays. Les tribus/castes/clans différents dans un Etat sont assimilés aux particules en désordre du Noun. Le roi est la réplique de Dieu. Il doit donc assembler les tribus dans l’harmonie et l’ordre, tribus qui sont par nature différentes.

Chaque tribu conserve un contrôle politique sur son territoire, y maintient sa culture et sa langue. La langue du clan royal finit par se superposer à la langue locale. Le partage des rôles entre le pouvoir royal et le pouvoir tribal sur le territoire est défini. Chaque tribu est représentée au sein du conseil qui assiste le roi dans la gestion du pays. Les postes de ministres sont répartis entre ces conseillers. A la mort du roi, c’est ce conseil formé de toutes les composantes du peuple, qui élit à l’unanimité le nouveau roi parmi les prétendants légitimes au trône, ou confirme l’héritier désigné. Le système politique africain est donc celui d’un Etat fédéral.

Le prestigieux royaume de Benin au Nigéria ancien, Illustration d’Angus McBride
Le roi régnait avec les représentants des peuples constituant le royaume. En dessous du gouvernement central, existaient des royaumes plus petits avec une autonomie politique. Quand un peuple était conquis, il conservait un contrôle politique sur son territoire.

Maât étant appliquée par le roi, le souverain doit maintenir l’harmonie, la justice et l’équilibre, et ne peut donc pas faire de favoritisme. C’est toutes les ethnies par conséquent qui profitent des richesses du pays. Le roi doit par ailleurs composer avec les contre-pouvoirs que sont ses conseillers-ministres, issus des tribus. Il ne peut pas les démettre.

Le peuple étant aussi animé par Maât, tout est fait pour que l’harmonie et la concorde entre ethnies demeurent. Le peuple discute librement autour des arbres à palabres du fonctionnement du pays. Les discussions peuvent durer des jours. Tous les arguments sont débattus et épuisés. On aboutit finalement à un consensus, qui doit satisfaire tout le monde. Les délibérations sont remontées jusqu’au pouvoir central et le roi décide en essayant de contenter tout le monde. L’attitude est celle de l’inclusion.

Des rites et cérémonies pour renforcer l’unité – souvent dirigés par le roi qui est hautement initié au Vitalisme – sont tenus régulièrement. Des mythes reposant sur des faits historiques sont construits et diffusés pour renforcer le sentiment d’unité.

Toute cette démarche qui tend à aller toujours plus vers l’unité dans l’harmonie, l’ordre et la richesse matérielle ; à aller vers un Etat parfait, est assimilée au Kheper, c’est-à-dire à l’évolution de la création telle que définie par Dieu. C’est pourquoi l’Etat en Lingala se dit Ekolo. Ekolo vient du verbe Kokola, ce qui signifie grandir ensemble. L’Ekolo est donc l’Etat africain. C’est un Etat fédéral multiculturel multilinguistique et inclusif. C’est un Etat composé de tribus autonomes, qui s’unissent dans l’harmonie pour grandir ensemble.

Peu importe les différences entre les peuples dans l’Afrique ancienne, chaque ethnie était respectée, autonome et justement intégrée au sein de l’Ekolo. (Image : des peuples africains, illustration de Leo et Diane Dillon). 

Cette structure politique très élaborée a disparu avec la colonisation européenne.

L’Etat dans la tradition européenne

Alors qu’en Afrique l’Etat est construit du bas vers le haut, en Europe l’Etat est construit du haut vers le bas. La tribu qui prend le pouvoir impose sa langue et sa culture au reste du pays. Ces autres langues et cultures disparaissent progressivement.

Dans ce bassin, on part du principe que tout le monde ne peut pas être d’accord, c’est l’idéologie de la confrontation. Au pouvoir en place, répond toujours une opposition qui n’est presque jamais d’accord. La loi est donc celle du plus fort, de la majorité. Une politique qui récolte 51% des voix l’emporte, laissant 49% de frustrés et exclus. Tant pis pour ces derniers ! Ça s’appelle la démocratie.

Ainsi la France par exemple, est un Etat central uniculturel unilinguistique et exclusif. Toutes les autres langues tribales (Occitan, Alsacien, Normand etc…) ont presque disparu devant le Français, langue tribale originaire de la région parisienne. Les cultures locales relèvent désormais, en gros, du folklore. L’aile progressiste et l’aile conservatrice du paysage politique s’affrontent et se critiquent depuis des décennies, pour convaincre 51% du peuple et prendre le pouvoir.

Ce sont ces approches différentes qui expliquent que les Etats européens étaient traversés de manière incessante par les révoltes et les révolutions du peuple, alors que l’Afrique avant la traite européenne, connaissait une paix et un bonheur attestés par tous les voyageurs étrangers. S’il y a eu de part et d’autre des exceptions, voilà de manière générale comment le pouvoir était organisé dans les deux bassins. 

Et c’est donc après ce modèle, celui de la « démocratie », que les Africains courent aujourd’hui à en perdre le souffle. Rendus ignorants de leur passé, ils s’évertuent à copier le modèle occidental, avec un échec retentissant.

La colonisation et le tribalisme en Afrique

Après avoir vaincu militairement l’Afrique, les colons européens se sont lancés dans la destruction des structures de la pensée noire. Beaucoup de prêtres vitalistes ont été tués. Les maisons de vie, lieux d’enseignements, ont été détruites. Les forêts sacrées ont été brûlées, les lieux saints profanés, les objets de culte volés et emmenés dans des musées. Les autorités chrétiennes, dans la suite des autorités islamiques, ont infiniment diabolisé le Vitalisme. Le résultat est que les structures sensées promouvoir l’harmonie, l’équilibre et l’ordre divins (Maât) ont disparu. Les Africains ont adopté la confrontation.

La deuxième chose a été de cloisonner les identités tribales. Les tribus ont donc été appelées « race » et on leur a fait croire qu’elles n’avaient pas de liens entre elles. On les a classifiées, faisant croire aux unes qu’elles étaient supérieures aux autres, et jouant de ces antagonismes pour diviser et mieux régner.

Les Africains ont été catégorisés dans le mauvais sens du terme par les Européens. C’est ainsi que les colons allemands puis belges ont divisé les baNyarwanda – un peuple unique appartenant au même royaume, avec la même langue, la même culture et religion – à travers les clans qui le composaient. Ils ont cassé les liens et monté savamment le clan Hutu contre le clan Tutsi, qui vivaient auparavant en paix. Ça a abouti à près de 800 000 Tutsi puis 400 000 Hutu tués depuis les années 90. (Image : carte d’identité rwandaise mentionnant « l’ethnie » avant même le nom. Cette femme Tutsi fut tuée.)

Les colons ayant pris la grande majorité des ressources matérielles, les tribus sont donc entrées en opposition pour avoir le reste, installant une compétition pour l’accès aux miettes que les Européens voulaient bien laisser.

Aux indépendances, les Africains, convaincus de ne pas avoir d’histoire et de modèle propres – ou pensant comme beaucoup encore que l’étude de l’histoire est une perte de temps – ont presque partout, adopté le système de l’Etat central unilinguistique uniculturel et exclusif. Les antagonismes tribaux étant forts, on a préféré la neutralité en choisissant la langue coloniale comme langue officielle, laissant mourir peu à peu les langues et cultures du pays, par ailleurs désormais considérées comme inférieures, voir maléfiques.

Les identités tribales étant exacerbées, les Africains ne votent presque toujours que par affinité tribale. Les partis politiques sont fondamentalement des partis régionaux et tribaux. La tribu la plus forte en nombre prend le pouvoir. C’est la démocratie! Dans le cas où le résultat des urnes est respecté, le président n’est donc le choix que de sa tribu et associés. Il est là pour servir la puissance néocoloniale qui règne avec les armes à la main, et servir sa tribu. Cette dernière se réserve la grande part des restes que laisse le colon. Cette tribu au pouvoir jouit d’avantages, les « autres » se retrouvant de facto exclues et frustrées.

Le pouvoir se faisant du haut vers le bas, le peuple ne se sent plus écouté. Tout cela crée des tensions pouvant déboucher sur une guerre. Les autres tribus attendant le jour où elles aussi auront le pouvoir. Elles attendent « leur tour » comme on dit en Afrique, pour jouir seules des avantages. Beaucoup complotent pour rendre cela possible. Les puissances impérialistes s’en servent pour étendre leur pouvoir sur l’Afrique.

C’est ainsi que la France a armé, au cours du pire carnage tribaliste de notre histoire, les séparatistes Igbo pendant la guerre du Biafra, afin de s’accaparer le pétrole de la région et casser le Nigéria, qu’on savait déjà comme un géant en devenir.

La guerre du Biafra, conflit entre le peuple Igbo et le gouvernement essentiellement Haoussa, est la première d’une série de guerres, qui ont donné aux Africains l’image désastreuse d’un peuple naturellement conflictuel, avec des ethnies qui passent le temps à se combattre; alors qu’en réalité ce phénomène est nouveau dans notre histoire et s’explique surtout, par la contamination de nos mœurs par des idéologies étrangères.

En résumé, il ressort clairement que le problème du Tribalisme en Afrique ce n’est donc pas l’existence des tribus elles-mêmes. Le Tribalisme est dû aux philosophies et institutions occidentales, qui sont absolument incompatibles avec la réalité sociologique africaine. Les Africains, sans s’en rendre compte :

  • ont remplacé leur philosophie d’harmonie (Maât) par celle de la confrontation.
  • ont cloisonné leurs identités tribales et se voient comme des étrangers, là où ils savaient faire vivre leurs liens de fraternité.
  • ont remplacé un Etat respectueux de toutes les langues et cultures, par un Etat néocolonial unilinguistique et uniculturel.
  • ont remplacé l’inclusivité et le consensus (Maât) par la seule loi de la majorité.
  • ont remplacé le sens de l’équilibre (Maât) par la compétition pour l’accès aux ressources matérielles raréfiées.

C’est le problème au Kenya où après trois présidents Kikuyu et un Kalenjin, les Luo veulent leur tour. C’est le cas au Zimbabwe où les Shona représentant 80% de la population, les Ndébélés ne seront donc – avec le système majoritaire actuel – jamais valablement représentés. C’est le problème en Guinée où les Peuls estiment que c’est à leur tour d’avoir le pouvoir, après les Malinkés et les Soussou. C’est le problème au Botswana où les Kalanga (10%) veulent que leur langue devienne une langue officielle comme celle des baTswana (80%) etc… C’est tout cela qui crée les tensions qu’on voit partout en Afrique.

La solution n’est donc pas de faire disparaître les tribus et s’inventer une identité unique. L’Afrique est déjà unique. Toutes les ethnies, toutes ces variantes de l’identité africaine unique, sont une grande richesse. La solution c’est de retourner à notre philosophie et nos institutions, à un modèle pensé par nous et pour nous.

Il faut que les Etats africains redeviennent des Ekolo.

« Nous ne sommes pas des « détribaliseurs » (…) Nous reconnaissons la valeur historique des ethnies de notre peuple. C’est la source même d’où jaillira la modernisation de la culture nationale » Um Nyobe (1913-1958), père de l’indépendance du Cameroun.

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

  • La pensée africaine, Mbog Bassong
  • L’Afrique noire précoloniale, Cheikh Anta Diop
  • Quand l’Africain était l’or noir de l’Europe, Bwemba Bong

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